Partager cette page :

Lisa Raoul – Aix-Marseille Université – Laboratoire de Neurosciences Cognitives (LNC)

Sciences Cognitives – Neurosciences

Être et avoir un corps en développement : expériences du soi corporel à l’adolescence.

/medias/photo/photo-lisa-raoul-win-20200513-17-20-20-pro-2-_1619687669620-jpg

Résumé
 
En même temps que vous lisez ces lignes, vous êtes implicitement conscient d’être vous-même : d’être un sujet, d’être un corps, d’être un sujet corporel. Cette conscience implicite d’être un sujet corporel semble aller de soi pour vous et moi. Mais cette expérience est à chaque instant construite par notre corps, notre cerveau et notre esprit : elle repose sur des mécanismes neurophysiologiques et cognitifs. En cas de perturbation de ces mécanismes, la qualité de cette expérience peut alors être modifiée. Par exemple, en raison de certaines perturbations neurophysiologiques, certains patients adultes font parfois l’expérience de phénomènes « anormaux » tels que des expériences de sortie de corps.

Après avoir analysé la littérature scientifique sur la conscience du soi corporel, l’image du corps et le schéma corporel, je fais le constat qu’aucune étude en neurosciences cognitives ne s’est intéressée à la manière dont est vécue cette expérience implicite chez les adolescents. Or, à cette période, tant le corps qui soutient la constitution du soi (celui que l’on est) que celui que nous-même et les autres voyons (celui que l’on a) se modifient. En effet, les études en neurophysiologie ont mis en évidence, chez les adolescents, une perturbation au niveau des signaux neurophysiologiques qui soutiennent l’expérience du soi corporel. De plus, les réseaux cérébraux impliqués dans cette expérience ne sont pas complètement matures. Les études en psychologie ont quant à elles mis en avant et théorisé le sentiment d’étrangeté du corps (cassure potentielle de l’unité corps-psyché) que peuvent ressentir les adolescents.

Mes travaux de recherche s’ancrent dans un courant des sciences cognitives (parfois appelé, de façon non consensuelle, « cognition incarnée ») qui considère toute activité cognitive, et donc toute expérience vécue, comme étant non-indépendante du corps entier et du monde socio-culturel dans lequel elle se déploie. En accord avec ce positionnement épistémologique et défendant l’idée selon laquelle l’étude d’un phénomène — ici l’expérience du soi corporel à l’adolescence — s’enrichit du dialogue entre divers champs disciplinaires, la première partie de mon travail vise ainsi à mettre en évidence les liens et la complémentarité des travaux issus des neurosciences, de la psychologie, de la phénoménologie et de la philosophie de l’esprit pour étudier ce phénomène. Il s’agira ensuite d’apporter des connaissances issues du champ des neurosciences cognitives, voire de la psychologie expérimentale, afin d’enrichir la compréhension de l’expérience du soi corporel à l’adolescence.

L’objectif principal de ma thèse est ainsi d’analyser comment cette expérience évolue au regard de la croissance, du développement cérébral et du développement psychosociologique des adolescents. Ce travail entend également questionner dans quelle mesure des expériences corporelles « explicites » peuvent influencer cette expérience première, implicite et pré-réflexive. Je fais ainsi l’hypothèse selon laquelle la pratique d’une activité physique au cours de l’adolescence peut modifier la manière dont un adolescent fait l’expérience du soi corporel. Je fais également l’hypothèse que des expériences psychosociales amenant à l’intériorisation de normes strictes concernant l’image du corps peuvent avoir un impact sur cette expérience première.

L’expérience implicite et pré-réflexive d’être un sujet corporel est longtemps restée un objet d’étude propre aux approches théoriques phénoménologiques puis psychologiques. Cependant, depuis une vingtaine d’années, elle fait l’objet de recherche en neurosciences cognitives chez des patients adultes. L’utilisation de la réalité virtuelle permet d’induire des illusions lors desquelles les individus ont la sensation d’avoir un corps qui est différent du leur. La force de l’illusion et les conditions nécessaires pour induire celle-ci renseignent ainsi sur les mécanismes mis en jeu et sur la qualité de l’expérience vécue. En me basant sur ces paradigmes, je vais induire des illusions d’appropriation d’un corps plus ou moins mature chez différents groupes d’adolescentes (début d’adolescence vs fin d’adolescence, sportives vs non pratiquantes, ressentant le poids de normes sociales qui pèsent sur le corps vs ne ressentant pas un tel poids). La force de cette illusion renseignera sur la qualité de l’expérience du soi corporel que vit chaque adolescente. Par la suite, afin de questionner les liens avec le développement structurel et fonctionnel des réseaux cérébraux qui soutiennent la genèse de cette conscience du soi corporel, je vais utiliser des méthodes d’imagerie cérébrale (IRMf) chez ces mêmes adolescentes. Enfin, je vais utiliser des questionnaires pour étudier les liens entre les expériences du soi corporel et l’état psycho-sociologique des adolescentes.

La littérature scientifique souligne que l’adolescence est une période au cours de laquelle de nombreux troubles concernant le rapport au corps (entre autres l’anorexie), à autrui et au monde apparaissent. Parallèlement, les approches phénoménologiques avancent qu’il y aurait un lien entre, d’un côté, la manière dont nous faisons l’expérience sensible du monde et dont nous interprétons les intentions d’autrui et, d’un autre côté, la façon dont nous faisons l’expérience d’être un corps. Dès lors, en étudiant les mécanismes qui pourraient sous-tendre le sentiment d’étrangeté et en s’intéressant à l’expérience du soi corporel à l’adolescence, cette approche entend apporter un regard singulier sur le « what it is like to be » (parfois traduit par « ce que cela fait d’être ») un adolescent.

Sous la direction de Marie-Hélène Grosbras

Enquête sur le rapport au corps au cours de l'adolescence

Dans le cadre de ses travaux de recherche, Lisa Raoul réalise une enquête sur le rapport au corps au cours de l'adolescence à destination de jeunes de 10 à 23 ans
> Répondre au questionnaire

Pour en savoir plus :



Thématique(s)
Formation, Vie étudiante

Mise à jour le 10 mai 2021